samedi 25 mai 2013

Pistaches et mélanges


Pistaches et mélanges
Petit historique des boissons mélangées
Nous ne goustons rien de pur.
Montaigne

Etymologies
Les sujets les plus futiles sont en ce bas monde susceptibles des plus farouches controverses -ainsi en est-il de l'origine du mot « cocktail ».  Une première école y voit l'évocation des couleurs de la queue du coq et donne de l'invention des boissons mélangées une version qui met en scène un fermier, sa fille et un bel officier.
Lucien Farnoux-Reynaud, dans L'Heure du cocktail, est de ceux-là : « Un cabaretier, là-bas [ ... ] vers l'Ouest, vivait il y a plus de cent ans. Il possédait une fille et un coq. La jeune fille belle comme les vertus théologales mises en pratique par une amoureuse, chaste à faire mentir le proverbe qu'il vaut mieux garder un panier de chats qu'une pucelle, douce et un peu nostalgique tel un refrain de matelot. On l’admirait à vingt lieues à la ronde. Mais le coq était encore plus étonnant, car on l'admirait sur une plus vaste superficie. Il avait gagné mille concours d'aviculture et les treize premiers Etats qui marquèrent des treize premières étoiles la bannière de la libre République savaient qu'il n'y avait qu'un coq, celui de Johnnie. La fille avait une robe pour chaque aspect du ciel et semblait toujours descendue depuis une heure sur la terre. Mais le coq portait simultanémen t sur son panache toutes les couleurs du ciel et de la terre et, dès qu'il chantait sa gloire au soleil, toutes les poules s'abattaient les ailes éployées. Un jour, le coq disparut.
Le cabaretier battit sa femme, son nègre et son âne, parcourut vainement la campagne et, après bien des colères et des larmes, jura qu' il donnerait sa fille à qui lui rendrait son coq. « Au crépuscule, le malheureux vit s'arrêter, devant son saloon, un officier qui lui tendait le volatile en rupture de poulailler. Au paroxysme du bonheur -la joie altère- il aligna tous ses flacons dont le contenu évoquait un des coloris de la queue (tail) de son coq (cock) et, tandis q u'il louait Dieu, sa fille, en extase devant la beauté de son mari inattendu, versait machinalement un peu de chaque liqueur dans un verre empli de glace. « De cette mixture spontanée, tout le bourg se grisa, la proclamant un miracle d'amour et d'alcool. On la baptisa de son nom symbolique en dansant des rondes autour des fiancés. L'officier empona aux armées la fille et la recette. L'histoire ne dit pas ce que l'armée fit de la fille, mais les faits témoignent du bon accueil qu'elle réserva à la recette. » Pierre Vermeire, dans L'Art du cocktail, partage cette opinion. II situe la scène en 1776, aux environs de New York (Elmsford ou Yorktown), et le cabaretier se serait nommé Flanagan...
Frank Meier, dans The Artistry of Mixing Drinks, situe également la scène à Yorktown, mais en 1779. Betsy Flanagan, farouche soutien de l'armée révolutionnaire, y servait à boire aux officiers américains et français. Elle leur promit la peau du coq d'un Anglais qu'elle haïssait -et tint parole. On but pour fêter le banquct à la queue du coq des boissons mélangées - des cocktails bien-sûr ! Jean Busson, dans Cocktails, penche aussi pour cette version.
Mais Harry Craddock, dans son Savoy Drink Book, n’est pas du tout de cet avis et et propose une version qu’il annonce comme « véritable, authentique et non sujette à contreverse ». Selon lui, les choses se seraient passées au Mexique : Vers le début du siècle dernier, il y eut pendant quelques temps une importante tension entre l’armée américaine des Etats du Sud et le roi Axolotl VIII du Mexique. Il en resulta quelques escarmouches, une ou deux batailles, mais on établit finalement une trêve, et le roi accepta de rencontrer le général américain pour discuter les termes d'un traité de paix.
« La rencontre devait avoir lieu dans le Pavillon royal, où se rendit le général américain; on lui avait installé une place sur le trône, pour ainsi dire, aux côtés du roi lui-même. Sa Majesté, cependant, lui proposa un verre, d'homme à homme ; en tant que général de l'armée américaine, il accepta. Le roi donna des ordres, et, après un moment, apparut une femme d'une beauté, aussi irrésistible qu'enchanteresse; elle serrait entre ses doigts effilés une coupe en or, incrustée de rubis, qui contenait un étrange breuvage de sa composition. Un lourd et menaçant silence s'abattit alors sur l'assemblée, car la même pensée traversa l'esprit de chacun : puisqu'il n'y avait  qu'une seule coupe, soit le roi, soit le général devrait boire le premier- l'autre se tiendrait donc pour offensé. La tension allait croissant lorsque la jeune femme semble comprendre la situation : courbant sa jolie tête, elle salua l'assemblée d'un doux sourire et but elle-même le breuvege.
Tout était sauvé et la conférence se termina de façon très satisfaisante, mais, avant de partir, le général demanda à connaître le nom de la femme qui avait fait preuve d’un si grand tact. « Il s'agit, répondit fièrement le roi, qui n’avait jamais vu la demoiselle auparavant, de ma fille Coctel ».

« Bien, répliqua le général, je veillerai à ce que son nom soit à jamais honoré par mon armée ».
« Coctel », bien sûr, devint « Cocktail », et le tour fut joué ! » Une variante de la thèse mexicaine voit l'origine du cocktail dans le mot Xocti, nom donné par un roi aztèque à une boisson qui lui aurait  été offerte par une jeune fille noble de son pays.

Laissant de côté l'épineux problème étymologique, d'autres chercheurs acharnés, comme Jean Lupoiu, sont allés repérer loin dans !'Antiquité l'origine des boissons mélangées. Il cite notamment, retrouvées dans Diodore de Sicile, Hérodote etStrabon, des breuvages égyptiens complexes tels le zithos ou le kémi. Il évoque les vins mélangés aux épices et aux aromates répandus en Babylonie et en Grèce; dans la Rome antique, il arrive même, à partir d'un poème attribué à Virgile, à situer l’origine du bar (caupona) et du shaker (mixarius) ! Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons trancher la question au plan étymologique, mais nous pouvons verser au dossier des éléments historiquement irréfutables.
Il est parfaitement établi que, durant toute l'Antiquité, on mélangea au vin épices et aromates, pratique qui s'est poursuivie au fil des siècles. On trouve ainsi au XVIème  siècle, en Bordelais et dans les Charentes, une boisson de ce type appelée coquetel ! Ne serait-ce pas la vraie origine, française de surcroît, du cocktail ? Toutes ces boissons étaient à base de vin. La première mention d'un cocktail à base d'alcool se trouve dans le magazine américain The Balance du 13 mai 1806 où l'on peut lire que « le cocktail est une liqueur stimulante, composée d’alcools d'origine indifférente, de sucre, d'eau et de bitters ; il est vulgairement appelé bittered sling. »

Au vent d'Amérique

C’est indéniablement des trappeurs d'Amérique que nous vient cette invention qui correspondait parfaitement aux besoins de leur rude existence. Ils importèrent leurs recettes dans les villes où ils venaient vendre leurs peaux ; elles s'y sophistiquèrent grace à des hommes de talent qui surent les dépouiller de leur rusticité pour les élever au rang de boissons élégantes. Le père du cocktail moderne (on lui rend trop rarement hommage) est Jerry Thomas à qui ses contemporains respectueux donnèrent le titre de professeur. Né en 1825 à New Haven, dans le Connecticut, il se retrouva à l'âge de vingt ans assistant barman. Il consacra toute sa vie aux boissons mélangées dont il lança la mode et dont il inventa quelques classiques comme le « Blue Blazer » ou le « Tom et Jerry ». Il porta la bonne parole aux quatre coins de l'Amérique et même en Europe, à Liverpool, Southampton, Londres et Paris, emportant partout avec lui son nécéssaire en argent d'une valeur de 4000 dollars. C'était en 1859 et c’estsans doute à cette occasion que le cocktail fut révélé.

Le Metropolitan Hotel de New York, où il exerça, fut le premier élégant cocktail bar du monde et son Bon Vivant's Companion, dont l'édition originale date de 1862, le premier livre de recettes. À sa suite, les bars luxueux se répandirent rapidement, tenus par des hommes qui construisirent ce qu’Alfred Slevens Crockett a pu à juste titre appeler the distinctive American School of Drinking.
Dans les plus « chics » de ces établissements, on proposait même, comme au Waldorf qui en a lancé la mode, un somptueux buffet gratuit.
En quelques années, à partir de 1860, ces barmen vont enrichir de leurs créations dans un domaine qui, au départ,
ne comprenait qu'une poignée de recettes. Mais contrairement aux inventions des grands chefs auxquelles leurs noms restent bien souvent attachés, à de rares exceptions près, celles des barmen se  propagent très vite sans que leurs auteurs aierit eu le temps de se les attribuer.
Terrible destin que celui du barman!
Exhumons donc d'un oubli aussi injuste que total quelques-uns de ces grands barmen qui ont constitué notre patrimoine de boissons .mélangées : Charley Sander, du Tall Tower, aux célèbres moustaches, Charley Mc Carthy du Saint James Hotel, Theodore Stewart et Dennis Sullivan, tous deux propriétaires de leur bar-room, John Peterson de Kirk's, Jack Kelly de Prescott House, John Austin du Meagher's Saloon... Citons aussi des pionniers français émigrés comme Alexis Soyer, cuisinier français servant en Angleterre, inventeur du « Gin punch », ou Faivre, tenancier d'un French Saloon à Broadway qui a laissé son nom au « Faivre's pousse-café ».

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